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Est-ce qu’on se lave trop?

Est-ce qu’on se lave trop?

  Photographe : Shutterstock

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Est-ce qu’on se lave trop?

On ne s’est jamais autant savonné qu’aujourd'hui dans toute l’histoire de l’humanité. Mais est-ce vraiment nécessaire? Et si on passait tout ce temps dans la salle de bains pour rien?

Parce qu’on aime la douche du matin pour se réveiller, celle après le sport pour se rafraîchir et celle en fin de journée pour se détendre, on est plusieurs à se doucher quotidiennement, voire plus d’une fois par jour. «Nous n’avons pas besoin de nous laver de la même façon que nous le faisions lorsque nous étions tous des fermiers, affirmait dans le New York Times Katherine Ashenburg, l’auteure du livre retraçant l’histoire de l’hygiène personnelle The Dirt on Clean: An Unsanitized History (malheureusement pas traduit). En fait, nous n’avons jamais eu besoin de nous laver aussi peu; pourtant, nous ne l’avons jamais fait autant.»

LE CERCLE VICIEUX DE LA DOUCHE

Dans les pays occidentaux, la douche quotidienne est pratiquement devenue la norme. Mais d’où vient ce besoin de se sentir propre en permanence? Certains pointent du doigt l’industrie des cosmétiques, qui a réussi grâce à une brillante opération de marketing à nous convaincre que l’on devait à tout prix enrayer les «mauvaises odeurs» corporelles.

On s’applique donc à se savonner, à se frotter, à s’exfolier. Puis, on sort de la douche avec la peau sèche et qui démange, alors on met de la crème pour la réhydrater. Même chose avec nos cheveux. On entre ainsi dans un cercle vicieux qui nous incite à accumuler les produits dans nos salles de bains, avec comme résultat un marché des soins corporels et de l’hygiène personnelle extrêmement lucratif. Selon une étude menée par Euromonitor International, les Canadiens ont déboursé, en 2011, 1,6 milliard de dollars en crèmes et soins de la peau.

Bien sûr, entre l’environnement pollué et les maladies infectieuses qui circulent, se laver est loin d’être inutile. «Le but de se laver est d’enlever tous les dépôts sur la peau, comme la poussière, le maquillage, la crème solaire et les peaux mortes, mais aussi d’éliminer les sécrétions des glandes corporelles qui créent les odeurs, ainsi que les bactéries pathogènes», résume la Dre Marie-Claude Houle, dermatologue spécialisée en dermatite de contact et occupationnelle.

L’Organisation mondiale de la santé nous martèle d’ailleurs depuis des années que le lavage des mains sauve des vies. Mais il y a un pas à ne pas franchir: on ne peut quand même pas aseptiser son corps au complet...

NOS AMIS LES MICROBES

On entend parler de plus en plus de microbiote intestinal, mais il faut savoir que la peau aussi est peuplée d’un ensemble de microorganismes.

«Le microbiote cutané est constitué d’environ mille milliards de bactéries. On les regroupe en deux catégories: la flore résidente, qui se compose de bactéries qui nous ont colonisés — parfois dès la naissance — et qui nous accompagnent sur de longues périodes de temps, et la flore transitoire, qui est constituée de bactéries qui vont et viennent selon les activités de la journée», explique Patrick D. Paquette, microbiologiste agréé et président de l’Association des microbiologistes du Québec.

En 2007, des microbiologistes de New York annonçaient avoir repéré 182 espèces différentes de bactéries sur la peau, chaque personne possédant une flore cutanée qui lui est propre et qui se modifie avec le temps, selon notamment son alimentation, son environnement, ses maladies ainsi que les médicaments, les cosmétiques et les vêtements utilisés. «Les bactéries ne sont pas distribuées uniformément sur la peau. Il y en a une plus grande diversité et abondance dans les zones plus humides du corps, comme les aisselles, les plantes des pieds et les aines, comparativement aux zones plus sèches, comme les bras, les jambes et le dos», poursuit Patrick D. Paquette.

Parmi ces bactéries, certaines sont inoffensives et d’autres sont pathogènes, c’est-à-dire qu’elles peuvent transmettre une infection. Ensemble, elles forment un écosystème capable de se réguler. Or, quand on se lave trop, on perturbe le terrain de jeu des microbes sur notre peau, en se débarrassant non seulement des bactéries pathogènes de la flore transitoire, mais en éliminant aussi une bonne partie de la flore résidente, qui doit se recoloniser.

«La peau, c’est comme une armure, un château fort, et les bactéries résidentes sont les petits soldats qui sont là pour combattre les bactéries pathogènes, les champignons ou les levures qui peuvent essayer de nous infecter et de créer des dermatites et des infections de la peau», affirme le microbiologiste.

OUT, LA DOUCHE?

À la lumière de ces informations, plusieurs se demandent s’il n’y a pas un non-sens à détruire chaque jour l’écosystème naturel des microbes sur la peau à coup de «barre de savon». Parmi ceux-ci, le responsable de la section santé du magazine américain The Atlantic, James Hamblin, également médecin spécialiste. Après s’être intéressé au microbiote cutané pour un article, il a réduit au minimum le nombre de douches et n’utilise plus de savon, de déodorant, ni de shampoing depuis plus d’un an. Est-il devenu la bête huileuse et puante que l’on imagine? Au début, oui. «Mais après un moment, l’écosystème atteint un état d’équilibre où l’on cesse de sentir mauvais. Je ne sens pas l’eau de rose ou les produits Axe pour le corps, mais je ne sens pas la sueur non plus. Je sens l’humain plutôt que de sentir un produit», a-t-il écrit à propos de son expérience.

Il y a déjà un certain engouement pour le no poo, ou «sans shampoing», qui consiste à se laver les cheveux le moins souvent possible et sans shampoing «chimique» afin de conserver l’huile naturelle des cheveux. Mais peut-on faire la même chose avec le corps?

En d’autres mots, le no soap, ou «sans savon», restera-t-il un truc vaguement hippie ou deviendra-t-il la prochaine tendance? Parce que, malgré l’expérience qui semble concluante pour le journaliste de The Atlantic, voudrait-on vraiment vivre dans un monde où personne ne se lave?

«Chez les personnes qui ne se lavent pas du tout, on voit parfois une accumulation de peaux mortes et de saletés qui finit par former ce qu’on appelle de l’hyperkératose de rétention, assure la dermatologue Marie-Claude Houle. Ces bosses brunâtres peuvent s’infecter et ainsi créer des ulcères. Elles sont aussi un terrain propice au développement d’infections fongiques comme le pied d’athlète sévère.» Si les adeptes du no soap ne se rendent pas jusqu’à ces cas extrêmes, c’est parce qu’ils prennent quand même la peine de se nettoyer à l’eau et de se débarbouiller.

On l’oublie souvent, mais l’eau, ça lave aussi. Mais certaines odeurs résistent à ce strict minimum...

SENTIR L’HUMAIN

Dermatologue au CHU de Québec, le Dr Joël Claveau s’est intéressé aux odeurs corporelles.

«Contrairement à la croyance populaire, la transpiration est inodore. Ce sont les sécrétions des glandes apocrines, situées au niveau des aisselles et des aines ainsi que sous les seins chez les femmes, qui dégagent une odeur. Une odeur qui est encore plus prononcée lorsque les sécrétions sont colonisées par certaines bactéries», précise-t-il.

Les odeurs corporelles peuvent être causées par une hygiène inadéquate, mais elles peuvent notamment être dues à une prédisposition génétique, à une alimentation riche en épices (ail, cumin, cari), à une consommation excessive d’alcool, à certaines conditions (diabète, infection urinaire, insuffisance rénale ou hépatique, hyperactivité des glandes apocrines) ou à certaines infections de la peau. Les poils aussi favorisent les mauvaises odeurs en retenant les sécrétions, ce qui entraîne une multiplication des bactéries.

Bref, on a tous une odeur corporelle qui nous est propre et d’une intensité (disons-le poliment) variable.

«Les odeurs corporelles ont déjà été utiles à l’humain: elles lui servaient de signaux de reconnaissance ou de séduction, alors qu’aujourd’hui, on cherche surtout à les éliminer», rappelle le Dr Claveau. Trop, peut-être.

FROTTE, FROTTE, FROTTE

Qui n’est jamais sorti de la douche en sentant que sa peau s’était transformée en un wet suit deux tailles trop petites?

C’est que, lorsqu’on se lave, on enlève les saletés et les peaux mortes, mais aussi le sébum, la précieuse huile naturelle produite par la peau pour lui permettre de conserver son hydratation. «Les douches trop fréquentes causent un dessèchement de la peau, ce qui peut entraîner divers problèmes comme l’eczéma ou les dermatites de contact, qui sont des réactions allergiques», dit la Dre Marie-Claude Houle. Puis, comme la peau s’amincit et perd de sa capacité à maintenir son hydratation au fil des ans, le risque de développer ces problèmes augmente avec l’âge.

Dans un reportage de sa série If Our Bodies Could Talk (il a également publié un livre qui porte le même titre),

James Hamblin explique que la douche quotidienne et les savons puissants déséquilibrent la flore cutanée et la forcent à se régénérer rapidement, ce qui favorise les bactéries qui produisent les mauvaises odeurs. Ainsi, plus on se douche, plus on sent mauvais, et plus on sent mauvais...

Un vrai cercle vicieux, quoi!

REPENSER NOTRE RAPPORT À LA DOUCHE

On n’est très certainement pas tous prêts à dire adieu à la douche et au savon, mais la plupart d’entre nous gagneraient sûrement du temps et de l’argent à repenser leur rapport à l’hygiène, en plus de réduire leur empreinte environnementale et d’éviter d’éventuelles maladies de peau. On peut commencer en diminuant la fréquence des passages sous la douche, surtout l’hiver et les journées où l’on n’a pas sué une goutte, et en espaçant les shampoings.

On peut également réduire l’utilisation du savon en le réservant aux aisselles, au pubis, aux aines et à la plante des pieds.

L’idée, finalement, est de repenser notre hygiène personnelle et, surtout, de se réconcilier avec les bactéries sur notre peau.

 

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