Loisirs et culture

Récit d'une rentrée annoncée

Récit d'une rentrée annoncée

iStockphoto Photographe : iStockphoto Auteur : Coup de Pouce

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Récit d'une rentrée annoncée

Au moment où vous lirez ces lignes, imaginez-moi ampoules aux doigts d'avoir étiqueté un à un 48 crayons de couleur. Cernée par des anxiétés nocturnes telles: Ai-je bien fait d'acheter la boîte à lunch des Bagnoles? (Elle sera sans doute passée de mode d'ici Noël.) Peut-être aurais-je dû investir dans un sac écolo-recyclable-lavable de couleur neutre pour éviter les moqueries? Ai-je bien identifié les quatre paires d'espadrilles requises? Une pour la gym, une pour la classe, une autre pour les jours de crachin et la quatrième en cas... (J'exagère à peine sur le nombre.)

Oui, mon «grand» entre à la maternelle. Lot d'angoisse compris. De ma part, pas de la sienne. Déjà qu'il n'aura pas encore cinq ans le jour de la rentrée, qu'il est plutôt de petit format, je le vois, menu escargot portant au dos sa coquille d'apprentissage fournie de ciseaux et de bâtons de colle pendant que je renifle d'émotion derrière lui, cachant mon trouble derrière mes lunettes noires.

D'un naturel je dirais... prudent, il n'est pas particulièrement friand des envolées physiques. Un ballon envoyé sur le front par un camarade inattentif le fera invariablement chigner. Il craint le sang, le coeur sur la flotte à la moindre odeur douteuse. Sage et consciencieux, il sera cependant un bon élève, à n'en point douter. Petit poète qui s'émerveille d'une fourmi transportant son butin au lieu de l'écrabouiller sans pitié chaussé d'une de ses quatre paires d'espadrilles (pas celles de la gym, bien sûr), sera-t-il le chouchou du prof? Arrivera-t-il à se faire des amis? Sera-t-il celui qui sait toujours tout et que ça nous tape donc sur les nerfs?

 

Je sais bien qu'il ne s'agit ici que de la maternelle et je dois arrêter de m'en faire parce que tous finissent par se sortir assez bien de cette période de points reliés par des traits et de bricolages en macaronis. Mais c'est comme si, à travers la première rentrée de mon fiston, je revivais la mienne. Vêtue d'une robe neuve et d'un lainage blanc, avec en bandoulière un sac de toile rouge, accroché au cou mon identifiant collé sur un carton en forme de tulipe, avec mon voisin Pascal, j'attendais un autobus scolaire jaune qui n'est jamais venu. Beau départ. Première journée d'école, premier retard. Déjà un décalage, un «pas pareil». La différence qui fait qu'on te remarque alors que tu voudrais donc être effacée comme le nom de ta prof au tableau parce que ce n'est pas elle que tu souhaitais avoir. N'y voyant à l'époque d'autre signification que celle d'avoir été oubliée (quand même!), je me dis aujourd'hui qu'il devait bien y avoir là une signification x, un rapport y avec le fait que... que je... qu'il faille que... Oh! et puis rien. Le bus n'est pas passé, that's it.

Ce qu'il y a de bien pour la rentrée de fiston, c'est qu'on va à l'école de quartier à pied. Voilà déjà un départ rassurant, non? Ce qui fait qu'à moins que je m'enfarge dans une des quatre paires d'espadrilles dans l'entrée, que je me casse royalement la gueule et que je ne puisse me rendre à l'école à temps, occupée à essayer de retracer mes dents perdues dans un bain de sang pendant que mon fils tourne de l'oeil dans son beau chandail neuf, tout risque de bien se passer.

Je survivrai à la rentrée.

 

Catherine Trudeau 

 

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