Loisirs et culture

On rencontre Marie-Josée Lord

On rencontre Marie-Josée Lord

Auteur : Coup de Pouce

Loisirs et culture

On rencontre Marie-Josée Lord

Sur le site de Radio-Canada, on peut encore écouter une vieille entrevue que Marie-Josée Lord avait accordée à René Homier-Roy. La chanteuse lyrique y entame Les Gens de mon pays dans une interprétation à mille lieues de celle qu'on connaît de Gilles Vigneault. Sachant qu'elle a depuis visité l'île de ses ancêtres, la question s'impose: lorsqu'elle interprète cette oeuvre de Vigneault, maintenant, pense-t-elle au Québec ou à Haïti? «Je suis archi-québécoise, mais je ne peux pas nier mes racines. Mes parents m'ont élevée au foie de veau et au pâté chinois, mais je n'y peux rien, c'est l'odeur de la chèvre et du "foutout" qui l'emporte! Depuis que je suis allée là-bas, je suis très fière de mon peuple. J'en conserve des images de résilience. Dans le chaos (c'était en 2010, après le séisme), un couple s'embrasse. Plus loin, une femme enceinte rit aux larmes. Une famille mange et discute, les gens sont animés. Ils nous rappellent que la vie est plus forte que tout.»

Née dans cette île des Caraïbes, elle arrive au Québec à 5 ans et demi, avec comme nouveaux parents Jean-Luc et Madeleine Lord, deux travailleurs humanitaires de Lévis. En 1977, nul doute, dans cette banlieue de Québec, le trio se fait voir. Elle l'a répété souvent, elle a mis des années avant de rencontrer un autre enfant à la peau noire. «J'ai raconté partout que je me suis bien adaptée, et c'est vrai, même si j'ai aussi souffert des stigmates que laisse le déracinement. Sauf que, à 41 ans, je peux dire que je m'en suis libérée. Toutes ces craintes dont souffrent les enfants adoptés: peur de l'abandon, de l'attachement, de l'engagement, je les ai ressenties aussi, et ce besoin d'être sécurisée, parfois à outrance, j'ai connu! Le plus difficile, dans un processus de guérison, c'est le nettoyage de la plaie. Mais c'est un passage obligé si on veut avancer. Dans mon cas, il s'agissait plutôt de petites blessures, qu'on ne voit pas toujours à l'oeil nu. Celles qui nous laissent croire à tort qu'on n'est pas vraiment blessée.»

Retour vers ses racines

En 2010, elle est retournée pour la première fois sur l'île qui l'avait vue naître. Elle est allée certes à la rencontre d'un pays, mais aussi d'un frère. Ce sont ses parents qui avaient fait le pont pour elle. «Je ne leur avais jamais cassé les oreilles pour retourner en Haïti, mais mon histoire, c'est aussi la leur. Je crois qu'ils avaient besoin de boucler la boucle. Mes parents sont donc rentrés avec une grande nouvelle: "Marie-Josée, tu as un frère. Voici son adresse. Maintenant, cela t'appartient." J'ai mis trois ans à aller à sa rencontre.»

Celle qui court la planète invoque le manque de temps pour expliquer ce délai, mais aussi la peur d'embarquer dans une telle aventure. «J'ai procrastiné parce que c'est une responsabilité que d'aller à la rencontre de l'autre, surtout dans de telles conditions. Les gens croient que c'est facile, que je n'ai qu'à faire venir mon frère et sa famille! Mais ce n'est pas aussi simple! On ne déracine pas les gens comme ça! Pour le moment, je me suis retirée dans mes terres. J'ai coupé la communication. Je réfléchis à ce que je peux faire. Je songe à des gestes qui seront en lien avec mes valeurs. Mes parents ont été des catalyseurs majeurs dans mon parcours de vie. Ce sont des gens de coeur et d'esprit. Ils m'ont donné un amour inconditionnel. C'est une chance extraordinaire; j'imagine que j'arriverai à en faire quelque chose!» Et la voilà, au coeur de ce moment tout solennel, qui couvre la table d'un de ces rires... Lorsqu'elle aborde des sujets très sérieux, Marie-Josée le fait souvent en riant. Une façon comme une autre de faire un pied de nez quand la vie impose ses petits défis.

La belle soprano n'évoque pas la peur de l'attachement sans jeter un oeil complice sur son homme, qui mange avec nous ce midi-là. Lui, c'est Alain Ledjebgue, né au Tchad, éduqué au Collège français de Pékin et membre de la formation musicale H'SAO. La reprise d'Aimer d'amour, de Boule Noire, en version musique du monde, c'est un de leurs hits. Les regards des tourtereaux se sont croisés sur une scène qu'ils partageaient il y a trois ans. Et lui, Marie-Josée l'a laissé approcher. «Elle m'a fait perdre la tête», clame-t-il. «Ce n'est pas grave, parce que moi, je reste très lucide», rétorque-t-elle, toujours en riant, juste avant d'ajouter: «Il n'a rien réclamé. Cela m'a rassurée.» Ce à quoi il réplique: «Je n'ai rien voulu brusquer. Je savais qu'on avait toute la vie devant nous.»

De cette belle histoire, Marie-Josée ne sait pas encore s'il résultera des enfants. Qu'on ne se méprenne pas: elle les adore, et n'hésite pas à dire de ceux de sa meilleure amie qu'elle les aime comme s'ils étaient les siens. «Dans ma vie, j'ai consacré énormément de temps à la performance. Je me suis fixé des objectifs qui ont exigé de moi un travail de tous les instants. Pour une paresseuse de mon gabarit, ce n'est pas peu dire! J'ai consacré du temps à mes amitiés, et maintenant, à mes amours. Dans mon couple, les avions se croisent mais vont rarement dans la même direction. Sur 365 jours, j'en passe sans doute le tiers à l'extérieur du pays. Je n'accepte pas n'importe quelle responsabilité, mais, lorsque j'en prends une, je la fais mienne et je l'assume pleinement. Le choix d'avoir un enfant est soumis à cette règle de vie. Si je mets quelqu'un au monde, je devrai m'assurer d'être là pour lui. Il n'y aura pas beaucoup de compromis. Mais je sais que les choses arriveront comme elles doivent arriver. Dans ma vie, je n'ai jamais manqué de rien. Même dans mes périodes sèches, il y a eu des oasis. J'ai confiance.»

Un parcours d'artiste

Les parents de Marie-Josée ont très tôt reconnu et encouragé la fibre musicale de leur fille. Après une prime enfance d'abord passée au violon, la jeune musicienne a plus tard choisi le piano pour son entrée au Conservatoire de Québec. Sans trop le savoir vraiment, elle s'en doutait pourtant: entre elle et l'instrument, ce n'était pas une histoire à vie. «Quand tu joues d'un instrument de musique, tu le choisis. Tu essaies des violons, des guitares, des pianos. Et tu les fais tiens. Ton instrument devient une sorte d'extension de ta personne - ce que je n'ai jamais ressenti. Avec la voix, c'est exactement l'inverse: c'est elle qui te choisit. Je ne me souviens pas d'avoir voulu une autre voix que la mienne - des jambes infiniment plus longues, oui, lance-t-elle à la blague, mais pas une autre voix! J'ai pourtant mis 10 ans à la reconnaître, cette voix, avant de lui faire confiance au point d'en faire deux albums!»

De fait, Marie-Josée avait 21 ans lorsque sa voix s'est révélée à elle. Certains diront que c'était presque un accident. La soprano, elle, sait très bien que ce n'était rien d'autre que son destin. Son intérêt pour le piano déclinait, sa curiosité pour l'art lyrique croissait. Un matin, alors que les élèves répétaient Les Noces de Figaro, le directeur de l'atelier l'a invitée à entrer dans la salle de classe. Ce serait plus pratique que d'écouter aux portes! S'en est suivi un grand dilemme, que l'étudiante a réglé en abandonnant son instrument pour le chant lyrique.

Dix ans plus tard, elle incarnait la petite Liu, l'esclave chinoise de Turandot, à l'Opéra de Québec. Ainsi plongée dans l'univers de Puccini, elle a poursuivi avec Mimi, dans La Bohème, et Soeur Angelica, dans l'opéra du même nom, à l'Opéra de Montréal. En 2008, le grand public la découvrait grâce à Luc Plamondon et Marie-Jeanne, la serveuse automate de Starmania, version lyrique.

Je l'abandonne à une équipe qui s'affaire à transformer la belle en diva, le temps d'une photo. «Ça n'a pas toujours été un conte de fée, précise Marie-Josée. Quand tu vois les gens autour de toi réussir, sortir leur carte d'affaires, bâtir une carrière, et que toi, tu es en fin de vingtaine, "étudiante en chant", il te prend des envies d'aller étudier pour avoir un "vrai" métier! Je me souviens d'un moment, pendant mes études au Conservatoire, où je me suis écroulée en pleurant. Mon père a refait avec moi mon cheminement, en me faisant comprendre que la vie, c'est le résultat de nos choix. On est revenus ensemble sur chacune de mes décisions. Lorsqu'il m'a demandé si je regrettais d'être allée en chant, j'ai dû répondre par la négative. "Donc, ce que tu vis, c'est la conséquence de ce que tu veux pour toi-même. Il te faut l'accepter. Devant les difficultés, tu dois te montrer fière et devant le succès, tu dois rester humble."» La leçon a porté fruit.

Coups en série

1. Coup puissant Quand je suis passée à l'émission Tout le monde en parle. Je n'écoute pas vraiment la télé, et je n'avais aucune idée de la portée de ma visite sur ce plateau. Or, par la suite, j'ai vendu 30 000 copies de mon album. Imaginez! Autant d'acheteurs de pure musique classique sur un territoire aussi petit que le Québec, c'était inattendu.

2. Coup de gueule J'évolue dans un milieu, il faut le dire, prétentieux et protocolaire. Lorsque je vois des situations choquantes, je réagis, et tant pis pour ceux qui ne sont pas contents. Disons que, quand je commence à baisser le ton et à parler tout doucement... il vaut mieux m'écouter!

3. Coup de coeur (Elle se tourne vers son amoureux, qui mange avec nous.) Lui!

4. Coup de balai J'ai guéri mes vieilles blessures. Aujourd'hui, si je ne vais pas bien, vous ne m'entendrez pas me plaindre que ça me vient de l'enfance. Pas de gnagnagna. Je regarde droit devant.

5. Coup de pinceau Mon chum et moi, on magasine pour décorer la nouvelle demeure qu'on vient d'acheter. On essaie de faire des choix qui respectent ce qu'il aime et ce que j'aime. Résultat: ça prendra une vie pour l'habiller, cette maison! Je n'ai pas assez de temps à consacrer à cette opération, et tout ça fait que ça commence à m'énerver. Je dirai bientôt que je n'aime pas la déco!

6. Coup d'épée... dans l'eau que d'essayer de me faire aller plus vite. Je suis lente comme une tortue. C'est sans doute mon biorythme des Caraïbes, ou quelque chose du genre...

Les plaisirs de Marie-Josée

Les choses du quotidien Je suis si peu chez moi que j'aime m'y retrouver. Je ne peux pas dire que je suis une grande cordon bleu, mais j'aime le rituel de préparer des repas et de manger à la maison avec Alain.

Vivre dans la nuit Je fais beaucoup de choses la nuit. J'ai réaménagé tous les appartements que j'ai habités la nuit, sans réveiller les voisins. Je ne vois pas le temps passer, mais surtout, la nuit, tu as le droit d'être lente. Personne n'attend après toi.

Dormir tard Nécessairement, ça vient avec le plaisir précédent!

Ne rien faire J'ai une nature très contemplative. Dans ma vie, j'ai beaucoup d'horaires à respecter, mais de manière naturelle, je me mets dans un état de lenteur qui désespère les autres. Mon plus beau moment dans une journée, c'est lorsque l'horaire s'arrête.

On peut suivre la tournée de l'artiste lyrique sur mariejoseelord.com. Son dernier album, Yo Soy Maria, un mélange de mélodies latines, chaudes et groovy dans un emballage classique, révèle son côté ensoleillé. Envoûtant.

 

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