Tels parents, tel couple?

Auteur : Coup de Pouce

Katie, 30 ans, n'avait que 5 ans quand sa mère a quitté son père. «Mais je me rappelle les éclats de voix, les chicanes, dit-elle. Après, j'ai vu ma mère sauter d'une relation à l'autre.» Dans sa petite tête d'enfant, elle en a conclu que l'amour ne pouvait pas durer et s'est juré qu'elle ne ressemblerait pas à sa mère, qu'elle jugeait agressive et dominante. La première relation de Katie a duré 10 ans, histoire de prouver à sa mère qu'elle pouvait, contrairement à elle, vivre une relation stable. «Je voulais probablement aussi me le prouver à moi-même», ajoute-t-elle. En effet, n'eût été de cette volonté de se distinguer de sa mère, la relation se serait sans doute terminée beaucoup plus tôt. Chemin faisant, Katie s'est rendu compte qu'elle se comportait de façon plutôt... dominante et tentait de gérer la vie de son amoureux, comme sa mère l'avait fait avec son père et ses autres conjoints.

Si notre personnalité est en partie inscrite dans nos gènes, notre façon d'envisager l'amour et le couple, elle, n'est pas innée. Elle répond à un enseignement qui s'étend sur plusieurs années, voire toute une vie. Et nos premiers professeurs, ce sont nos parents. Avant même qu'on soit en âge de raisonner et de verbaliser, on ressent ce qui se passe entre nos parents, qu'il s'agisse de tensions, de jalousie ou d'harmonie. L'histoire de leur amour nous fournit la matière première avec laquelle on bâtira nos propres amours. «Il est évident que le couple que formaient nos parents a une grande influence sur nous, affirme la sexologue et psychologue Tania Muzik. Après tout, ce sont les premiers modèles d'homme et de femme avec lesquels on est en contact.»

Héréditaire, le divorce?

La question se pose particulièrement pour les enfants qui ont vécu la séparation de leurs parents. Ceux qui étaient enfants au milieu des années 1970, lorsque le nombre de divorces au Québec a grimpé en flèche, sont maintenant en âge de divorcer à leur tour. Imitent-ils leurs parents?

Oui, constate Céline LeBourdais, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Statistiques sociales et changement familial: «Les différentes recherches menées dans le monde montrent que les enfants de parents séparés divorcent davantage que ceux de parents unis. Ils ont aussi tendance à se mettre en union plus tôt dans leur vie et à préférer l'union libre au mariage.» Elle souligne toutefois qu'on manque de données pour assigner une cause unique à ce phénomène. Ces jeunes adultes divorcent-ils parce que leur famille a connu des difficultés financières à la suite du divorce, ce qui a nui à leurs chances de compléter leurs études, de trouver un bon boulot, de bien se lancer dans la vie? Est-ce parce qu'ils se mettent en couple trop rapidement (les unions précoces sont plus fragiles) ou parce qu'ils jugent le divorce plus acceptable puisque leurs parents y ont eu recours? «On pense que la réponse est un mélange d'influences, mais on arrive mal à discerner laquelle est la plus importante.»
Il ne faudrait toutefois pas en conclure que tous les enfants de parents divorcés vont fatalement se séparer à leur tour. Ils sont peut-être plus à risque, mais la façon dont la relation de leurs parents s'est terminée y est aussi pour beaucoup. «Quand ça se passe bien, que les parents se séparent dans une relative harmonie, l'enfant risque beaucoup moins d'en être affecté, atteste Michel Lemieux. Ça peut même l'amener à reconnaître ce qui ne marche pas dans un couple et à éviter de répéter les mêmes erreurs.»

C'est le cas de Joëlle. Le divorce de ses parents, qui s'est assez bien déroulé, n'a pas ébranlé son désir d'une union stable et durable. La jeune femme de 34 ans croit même que le divorce de ses parents contribue à la réussite de son couple, qui dure maintenant depuis sept ans. «La principale raison pour laquelle mes parents ont divorcé, c'est qu'ils travaillaient énormément tous les deux et qu'ils n'allouaient pas assez de temps à leur vie de couple, explique-t-elle. Aujourd'hui, je sais l'importance que ça a.»

Plus on prend conscience tôt des lacunes du modèle parental, moins on risque de les reproduire. Plus encore: «les enfants qui ont eu la chance de grandir dans des familles qui ont divorcé sereinement s'aperçoivent que les individus doivent parfois effectuer des changements très difficiles dans leur vie, mais que ceux-ci peuvent apporter des résultats positifs», écrivent les auteurs de Les Enfants-adultes du divorce.Le premier modèle

Par ailleurs, la stabilité d'un couple n'est pas nécessairement gage d'un modèle enviable pour l'enfant. Lorsque ses parents se sont séparés alors qu'elle avait 15 ans, Sophie-Anne, 38 ans, a été plutôt soulagée. «Mes parents n'étaient pas vraiment heureux ensemble, et ça me pesait beaucoup.» Père absent et peu démonstratif, mère frustrée de ne pas recevoir plus d'attention et d'amour. «Mais ma mère n'exprimait pas ses attentes à mon père, c'est plutôt à moi qu'elle se confiait», dit Sophie-Anne, qui, en réaction à ce scénario, s'était mise à rêver du prince charmant, du grand amour. Cependant, ses relations, une fois adulte, n'ont pas été à la hauteur du conte de fée qu'elle espérait. «Chaque fois que je tombais amoureuse, mon partenaire finissait par me décevoir. Ou alors, il me quittait», raconte-t-elle.

Le déclic s'est fait quand son dernier conjoint lui a dit, avant de la quitter, qu'il avait l'impression de tenir son bonheur entre ses mains et qu'il trouvait cela trop lourd, sans compter qu'il ne savait jamais vraiment ce qu'elle attendait de lui puisqu'elle ne l'exprimait pas. «Ça m'a donné un coup, dit Sophie-Anne. Mais ça m'a rendu service. J'ai réalisé que j'agissais exactement comme ma mère l'avait toujours fait et que je choisissais des conjoints distants, comme mon père.» Parce que l'inconnu fait peur, parce qu'on n'a pas conscience de le faire ou parce qu'on ne sait pas comment faire autrement, on reproduit ce qu'on connaît bien, soit notre tout premier modèle. «Ça peut prendre du temps avant de comprendre ce dont on a hérité et de quelle façon ça nous a marquée, note Nicole Lemieux, psychologue spécialisée dans les relations de couple. Avant de pouvoir se dissocier du modèle parental, il faut prendre conscience du bagage qu'on a reçu.»

Ce bagage peut, bien sûr, avoir été favorable. Caroline, 27 ans, est parfaitement consciente de l'influence de ses parents sur ses attentes amoureuses. «Ça fait presque 35 ans qu'ils sont ensemble et ils s'aiment toujours. Je les trouve beaux, dit-elle. Et j'admire mon père parce qu'il continue de faire des efforts pour séduire ma mère!» Même si elle est assez exigeante envers ses partenaires (son père a mis la barre haute!), Caroline prend toutefois garde de ne pas idéaliser ce modèle et reste consciente du fait que les couples d'aujourd'hui risquent de ne pas durer toute une vie. «Même si l'idée du "pour toujours" me semble aujourd'hui utopique, j'ai appris de mes parents qu'il faut faire des efforts pour que le couple fonctionne.»
En revanche, si on met nos parents et leur relation sur un piédestal, cela peut nous amener à croire qu'aucun conjoint ne sera jamais à la hauteur. «Jusqu'à présent, je voulais peut-être trop que mes partenaires ressemblent à mon père. J'avais tendance à mettre un terme à la relation quand je me rendais compte que ce n'était pas le cas», avoue Caroline. En discutant avec sa mère, elle a cependant compris que chaque relation était unique et qu'elle devait trouver un conjoint qui corresponde à ses attentes à elle. «Elle m'a dit: "Peut-être qu'avec un homme comme ton père ton couple ne marcherait pas du tout. Les âmes soeurs ne sont pas interchangeables!".»L'amour est plus fort que tout

Il est plus facile de conjuguer avec un modèle parental positif que le contraire. À cet effet, Nicole Lemieux souligne que l'ingrédient numéro un d'un modèle positif est, tout simplement, l'amour. «Qu'ils soient séparés ou encore ensemble, si les parents s'aimaient, s'ils communiquaient relativement bien et s'ils se montraient du respect, il n'y a pas de doute que l'enfant en bénéficiera.» Idem en ce qui concerne les démonstrations d'affection et de tendresse.

Sur ce point, Louise a eu un exemple... exemplaire! «Mes parents ont toujours été très attentionnés l'un pour l'autre, très tendres. Tous les jours, quand mon père rentrait de travailler, ma mère l'accueillait avec un baiser.» C'est sans doute pour cette raison que cette femme de 49 ans n'éprouve aucune pudeur à exprimer son affection, notamment à l'égard de son conjoint. Pour ce dernier, par contre, ces démonstrations n'étaient pas aussi naturelles. Ayant eu des parents très réservés sur ce plan, il n'était pas aussi enclin que sa conjointe à démontrer, en gestes ou en paroles, son amour. Au début de leur relation, il y a plus de 15 ans, Louise ne comprenait pas la réserve de son conjoint. «Mais j'ai compris quand j'ai rencontré ses parents!» lance-t-elle en riant.

Selon Tania Muzik, «lorsqu'on n'a pas été témoin de gestes de tendresse entre nos parents, cela peut nous poser problème une fois adulte. On pourra avoir de la difficulté à exprimer et à recevoir de l'affection.» Ainsi, Louise s'est-elle évertuée à apprendre à son conjoint comment exprimer ses émotions. Un apprentissage qui s'est fait lentement, graduellement. À force de lui témoigner son amour, son conjoint a fini par en faire autant.

Si Louise n'avait pas fait montre de patience et de maturité, et si son conjoint était demeuré enfermé dans son apparente froideur, peut-être leur relation n'aurait-elle pas fonctionné. Car une chose est sûre: quand les conjoints ont eu des modèles parentaux très différents, les risques de conflit augmentent. Cela est particulièrement vrai si ni un ni l'autre n'a pris conscience de l'influence sous laquelle il évolue. «Chacun va défendre son modèle, explique Michel Lemieux. C'est pourquoi, dès le départ, les partenaires doivent se questionner et décider ensemble du couple qu'ils souhaitent être, en partageant leurs visions du couple.»

Quelle est ma vision du couple?

Le conjoint de Louise a mis du temps à s'ouvrir et à exprimer ses émotions. Normal, selon Tania Musik. «On ne change pas facilement ce qui imprégné depuis l'enfance.» Qu'on assimile sans se poser de questions les comportements conjugaux de nos parents ou qu'on les rejette d'emblée, le résultat demeure le même: l'exemple qu'on a eu enfant est inscrit profondément en nous.

Si ce modèle était positif, on n'éprouvera probablement pas le besoin de le remettre en question. À l'inverse, si certains de ses aspects étaient plutôt négatifs, on devra chercher à comprendre de quelle façon ils nous ont marquée. «Plus cette prise de conscience se fait tôt, moins il y aura de risques qu'on ne répète les lacunes du modèle parental», affirme Nicole Lemieux. Lorsque Sophie-Anne a brusquement réalisé que son attitude à l'égard de ses partenaires était pratiquement calquée sur celle de sa mère, elle n'a pas hésité à consulter un psychologue. «J'avais besoin de ça pour y voir clair», dit-elle.

Parfois, ce seront les amis, le conjoint, la famille ou même la belle-famille qui contribueront à nous aider. «Je pense que, par mon exemple, mon conjoint a commencé à être plus démonstratif, dit Louise. Mais je crois également que la relation chaleureuse de mes parents a eu une influence sur lui.» Certaines ont compris que c'est en prenant le temps de se connaître et de définir ce qu'elles voulaient qu'elles arriveraient à façonner leur vie de couple selon leurs besoins. «Il ne faut pas avoir peur de rester seule, dit Katie. Après avoir quitté mon conjoint, j'ai passé trois ans seule et ça m'a permis de me regarder, de faire le point.» Et de redéfinir réellement ce qu'elle attendait du couple. «Pour savoir vraiment ce qu'on veut comme couple, il faut d'abord bien se connaître, avise Michel Lemieux. Il faut également faire l'inventaire de ce qu'on a reçu et décider de ce qu'on veut garder et de ce qu'on ne veut pas garder.»

Il y a de l'espoir!

L'étude nationale Un sondage sur les espoirs et les rêves des Canadiens, commandée par l'Institut Vanier de la famille (2003), révélait qu'une imposante majorité de Canadiens aspirait à se marier et à avoir des relations durables. Ainsi, quelle qu'ait été la relation entre nos parents, peut-être avons-nous tous reçu l'amour en héritage et alimentons-nous, aujourd'hui, le désir de le léguer à notre tour...

Pour aller plus loin

  • Au lit toi et moi, nous sommes six - L'influence parentale sur nos vies, par Sylvie Lavallée, TVA éditions 2001, 180 p., 19,95$.
  • Les Enfants-adultes du divorce, par Elizabeth S. Thayer et Jeffrey Zimmerman, Sciences et culture 2006, 264 p., 21,95$.
  • Les Territoires de l'intime, par Robert Neuburger, Odile Jacob 2000, 190 p., 40,95$.
  • Se libérer du destin familial, par Elisabeth Horowicz, Deruy 2000, 250 p., 34,95$.
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