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Confidences de gars

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Auteur : Coup de Pouce

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Confidences de gars

Seuls entre gars, autour d’un pichet, des hommes se lâchent lousse et parlent de ce qui les préoccupe et les anime.

En avril dernier, on a réuni huit hommes (incluant le journaliste et son photographe) dans l'une des dernières vraies tavernes de Montréal pour discuter de la condition masculine. Stéréotypes sexuels, amitié virile, tâches domestiques, paternité, santé: tout a été mis sur la table, sans oublier la bière! Voici ce qu'ils avaient à dire.

Qui sont-ils ?

Andrew, 40 ans, vendeur, en couple depuis un an

Christian, 48 ans, chargé de projet en technologie de l'information et des communications, en couple depuis neuf ans

Jean-Marc, 40 ans, écrivain et enseignant, en couple depuis deux ans, père d'un garçon de 15 mois

Michel, 36 ans, travailleur autonome en vidéo, célibataire

Raymond, 48 ans, intervenant communautaire, en couple depuis 28 ans, deux enfants de 20 et de 17 ans

Stéphane, 40 ans, directeur d'usine, séparé depuis deux ans, trois enfants de 14, 12 et 5 ans

Martin, 47 ans, photographe pour Coup de pouce, qui s'est mêlé à la conversation, marié depuis 25 ans, deux enfants de 15 et 19 ans

Jean-Sébastien, 39 ans, journaliste indépendant, célibataire, père d'une fille de 17 ans

 

Être un gars au Québec, en 2011, c'est comment?

Andrew: C'est ben l'fun! Je ne vois aucun problème à être un homme.

Jean-Sébastien: Aucun inconvénient?

Andrew: Pas du tout. À Montréal, en tout cas, je n'en vois pas. On est chanceux.

Stéphane: On n'est plus les hommes machos qu'on était autrefois. Aujourd'hui, on doit retrouver notre place dans une société constamment en évolution. Et on est obligés de s'approprier des qualités qui sont féminines à la base: faire preuve d'une plus grande sensibilité à certaines choses, exprimer nos sentiments et notre spiritualité. Ce sont pour moi des choses assez nouvelles. Et il y a des situations familiales qui sont différentes. Personnellement, je suis séparé et j'ai trois enfants. C'est sûr que pour moi, c'est peut-être moins l'fun...

Jean-Marc: Je pense qu'être un homme au Québec en ce moment, c'est bien. On a les moyens de s'épanouir sans être pris dans un carcan. Avant, le père était le pourvoyeur, celui qui ne disait jamais un mot et qu'on ne voyait pas. Maintenant, le rôle du gars est plus humain.

Christian: Venant de France, je vois que c'est différent. Ça fait 11 ans que je suis au Québec. Au début, c'était un choc! Avec l'émancipation féminine, les hommes se sont un peu écrasés ici et ont de la misère à occuper la place qu'ils devraient occuper. S'ils osaient le faire, ils se feraient traiter de tous les noms. Ma blonde est québécoise et elle tient sont bout, comme le font toutes les Québécoises. Je suis confronté à ça tout le temps. Les hommes français ont tendance à être plus francs, plus directs. Ma blonde n'était pas habituée à ça. Par exemple, elle a appris qu'elle ne doit pas poser une question à laquelle je peux répondre franchement parce qu'elle n'aura pas du tout la réponse à laquelle elle peut s'attendre! (Rires) Alors que les hommes québécois ont plus tendance à dire la chose qu'on attend d'eux au lieu de dire clairement ce qui devrait être dit.

Jean-Marc: La condition masculine, c'est peut-être la plus grande création du féminisme. Avant, ce n'était pas une question qui se posait, ça allait de soi. Maintenant, si on se rencontre pour discuter de ça, pour se demander c'est quoi, être un gars, c'est déjà quelque chose.

Michel: Je reconnais qu'il y a quelque chose en moi qui est inassouvi, j'ai des talents que je ne peux pas exploiter. La société dans laquelle on vit n'a pas besoin de certains talents qu'ont les hommes: tout ce qui est agressivité, guerre, aptitude à se battre. Il y a en moi ces aspects-là, mais je ne peux pas les exprimer parce que ça ne donnerait rien. J'aurais le goût de me battre, d'être agressif, même si je suis assez petit de taille et que, en règle générale, je ne me dispute pas avec les gens. Il n'en demeure pas moins qu'il y a une fonction biologique chez moi qui n'a pas de sens aujourd'hui.

Andrew: Et le sport?

Michel: Le sport, c'est une mince consolation. Ce n'est pas comme sauver son enfant, sa femme, sa patrie. Le sport pour se mettre en forme, pour faire de l'exercice, oui, mais...

 

Est-ce que les hommes au Québec sont victimes de stéréotypes?

Christian: Les hommes et les femmes sont victimes de stéréotypes véhiculés par les médias, la publicité, etc. On nous vend des modèles qui n'ont rien à voir avec la réalité. On voit des femmes essayer d'être le plus maigres possible et des hommes, le plus costauds possible. On n'est pas ça.

Jean-Marc: Les gars sont tout le temps épais dans les publicités. S'il y a un sexisme dont on est victime, c'est dans la publicité. Pourquoi? Peut-être parce que l'argent de la vie domestique, ce sont souvent les femmes qui le gèrent. En tout cas, je me dis que si on faisait des publicités où les femmes sont aussi épaisses que les gars, tout le monde crierait au sexisme. Mais, parce que ce sont des gars, ça passe super bien! Dans la fiction, l'image de l'homme a un peu changé. Il y a quelques années, le comédien Luc Picard a dit qu'il regrettait de ne jamais jouer des rôles de tough au Québec. Il n'y en avait pas. Il y en a maintenant à la télé, par exemple dans Minuit, le soir.

L'argent, c'est le pouvoir. Et, pour la première fois dans l'histoire du Québec, des femmes gagnent plus que leur conjoint.

Raymond: Vivre d'égal à égal, on l'a vraiment intégré ici. Mais je connais des couples, chez les jeunes, où je suis certain que les femmes vont gagner plus que leur conjoint. Ce sera la réalité de la génération de mes filles. Ça va être un gros défi. La personne qui rapporte le plus gros revenu dans le couple a le pouvoir. Il faut se dire les vraies affaires: les femmes n'ont plus besoin de nous! Même pour avoir un enfant, en théorie, elles n'ont plus besoin de nous.

Stéphane: C'est logique. À partir du moment où sa sécurité financière est assurée par son salaire, une femme n'a pas besoin de l'homme.

Andrew: Si une femme gagne 90 000$ par année, elle ne sortira pas avec un homme qui gagne 30 000$. Les femmes veulent un homme qui a du pouvoir. Même si les hommes et les femmes sont égaux dans tout le reste.

Jean-Marc: Je ne suis pas d'accord. Moi, je tripperais d'être un homme entretenu! Il y a une expression en anglais: trophy wife, «femme trophée». Plus il y aura de femmes qui vont gagner plein d'argent, plus il y aura d'hommes trophées.

Raymond: Mais où est l'amour, là-dedans? L'amour, ça se construit.

Martin: Je suis avec la même femme depuis 25 ans. C'est vrai que l'amour, ça prend du temps. Et c'est là que le salaire qu'on gagne n'a plus d'importance. Aujourd'hui, ma femme et moi, on n'a plus besoin de se parler pour penser aux mêmes affaires en même temps. Ça devient de plus en plus difficile pour moi de ne pas être avec elle. C'est ça, l'amour. C'est dire à l'autre: «Je ne peux pas me séparer de toi.»

Parlons du partage des tâches dans la famille. Est-ce possible de tout scinder en deux, équitablement? Est-ce qu'il y encore des chasses gardées masculines et féminines?

Stéphane: Ça fait deux ans que je suis séparé. Je dois réapprendre à vivre en me disant: «C'est quoi, mon rôle?» Je ne suis plus le père de famille et l'homme, je dois retrouver ma place.

Jean-Marc: Je ne sais pas qui a la garde de tes enfants, mais... tu es toujours père de famille et homme, non?

Stéphane: Oui, mais je joue le rôle du père ET de la mère une semaine sur deux. J'ai deux filles de 14 et 12 ans et un garçon de 5 ans. Pour les filles, je dois prêter l'oreille comme si j'étais la mère. Quand ta fille t'annonce: «Papa, tu vas être content, j'ai mes règles!» (Rires)

Raymond: Je pense que ma femme en fait plus que moi à la maison à cause des deux enfants. Elle a plus de patience pour leurs études, pour passer du temps à faire les devoirs. Moi, je tourne les coins ronds, je dis à mes enfants: «Vas-y, t'es capable, fais ton possible.»

Jean-Marc: Nous, on est un couple moderne où chacun apporte 50%: on sépare les tâches en deux, on sépare les comptes en deux, on organise toutes les responsabilités d'une manière très égalitaire. Par contre, je suis plus souvent à la maison qu'elle parce que j'ai un horaire plus variable. Même si c'est vrai que ça existe, cette nonchalance masculine...

Martin: C'est la même chose pour moi parce que je suis pigiste. C'est toujours moi qui ai fait les devoirs avec les enfants. Ma femme se lève à 6 h et elle rentre à 18 h. Moi, je me lève plus tard, des fois j'ai pas de job. Et ça m'a toujours fait mal au cœur de voir des enfants à la garderie jusqu'à 18 h. Alors, j'allais les chercher à 15 h 30 ou 16 h, je faisais les devoirs, j'en profitais pour préparer le souper. Et puis, tout dépend comment t'as été élevé... Moi, j'ai perdu ma mère quand j'avais 9 ans. Mon père était alcoolique. J'étais seul. Alors, je garde toujours en tête que les enfants doivent passer avant tout.

Jean-Marc: Mon père est mort quand j'avais 1 an. Et, comme pour toi, Martin, c'est très important pour moi d'être un bon père. J'ai attendu longtemps avant d'être père. Je voulais être sûr de moi.

Fréquentez-vous beaucoup vos amis, entre hommes? Organisez-vous des soirées de gars?

Raymond: J'ai deux filles, de 17 et 20 ans et ma femme. Chez moi, je suis le seul homme. Ça influence beaucoup les conversations... Mais j'ai la chance d'avoir des amis d'enfance, des gars. On se voit au minimum deux ou trois fois par année. Je peux vous garantir qu'entre gars, ce ne sont pas les mêmes discussions. Au début, avec mes amis d'enfance, on se voyait en couples avec nos blondes. Les femmes parlaient ensemble et les gars étaient de leur côté. On s'est dit: «Pourquoi on ne se verrait pas juste entre nous, les gars?» On s'est rendu compte que ce n'est pas la même chose. Quand on se revoit, on est six ou sept gars et on se parle sans censure. Oui, on va faire les épais, on va prendre un coup, mais on parle aussi de plein de choses très sérieuses.

Des études sur la condition masculine indiquent que les hommes se préoccupent moins de leur santé que les femmes, qu'ils adoptent souvent de mauvaises habitudes de vie et qu'ils ont moins de réseaux de soutien. D'accord?

Christian: Je ne fais pas attention à ma santé, mais j'ai l'impression que tout va bien. Si je vais voir le médecin, c'est parce que ma blonde me «tanne». C'est grâce à elle que j'ai trouvé un médecin de famille. Après avoir vu ce médecin une première fois, je ne l'ai pas revu pendant deux ans. Quand je l'ai revu, il m'a dit: «Mais ça fait deux ans!» Je croyais que, parce que je l'avais vu une fois, c'était correct. Effectivement, je n'ai pas l'habitude.

Andrew: Quand j'ai eu 40 ans, ma blonde et ma mère m'ont dit qu'il était temps que je voie un médecin. Ça faisait plus de 15 ans que j'en avais vu un.

Jean-Marc: Je n'ai pas vu un médecin depuis une éternité.

Stéphane: Moi aussi, je n'ai pas l'habitude d'aller voir un médecin.

Et pour votre santé mentale? Avez-vous un bon réseau social, entre hommes? Qui vous vient en aide quand vous avez des ennuis?

Stéphane: L'amitié entre les gars n'est pas forcément saine. On a souvent une retenue. Entre amis, on se dit: «Lui, il ne file pas, aujourd'hui. Je ne vais pas l'achaler.» Alors que chez les femmes, c'est: «Qu'est-ce qui se passe? Dis-moi tout!»

Raymond: On pourrait aussi parler du suicide au Québec. Bon an, mal an, environ 1 000 personnes se suicident, et là-dessus il y a 80% d'hommes. Je travaille là-dedans depuis 20 ans. La meilleure façon d'intervenir chez les hommes suicidaires, c'est d'en parler. Mais quand un gars ne file pas, qu'est-ce qui se passe? Un ami va l'inviter à prendre une bière, c'est typique. On sait que l'alcool est un dépresseur et que c'est rare qu'un gars mette la main sur l'épaule de son ami en lui disant: «Tu n'as pas l'air de filer.» Alors, un homme se suicide et pourtant, son meilleur ami l'a vu la veille! L'ami va se dire: «Si j'avais su, je lui aurais demandé si tout allait bien...»

Michel: Les réseaux sociaux, chez les hommes, se créent dans l'action. En ce sens-là, pour les gars qui sont au chômage, qui vivent de l'aide sociale, qui n'arrivent pas à s'insérer dans le marché du travail ou à gagner un salaire satisfaisant, il y aura toujours une perte de sens. Ils auront beau avoir un confident ou faire des thérapies de groupe, quelque part, il y a un malaise plus profond.

Croyez-vous, comme Michel a dit au début, que la société dans laquelle on vit n'a pas besoin de certains talents qu'ont les hommes?

Jean-Marc: Une féministe, Camille Paglia, a dit que les femmes viennent du corps des femmes et qu'elles sont en harmonie avec leur nature, alors que les gars sortent du corps des femmes, mais doivent prouver qu'ils sont des hommes en accomplissant des exploits. Prouver qu'ils sont des hommes et pas seulement le produit d'un corps féminin. C'est pour ça qu'on est pognés avec ces problèmes-là.

 

La discussion de gars s'est terminée sur ces mots. Nous avons bavardé plus légèrement en finissant nos bières, puis nous nous sommes promis de nous revoir. En rentrant chez moi, j'ai pensé à une déclaration de Jean-Marc: «Mes parents, qui sont assez libérés, ont fait la Révolution tranquille. Mais je ne verrais pas mes grands-parents parler de la condition masculine!» J'ai presque le même âge que Jean-Marc et, oui, les hommes de la génération de nos grands-parents ne l'ont pas eue facile... Ils étaient coincés dans des rôles figés: le père de famille pourvoyeur ou le vieux garçon, rien d'autre. Il était impossible pour eux de se montrer vulnérables devant un autre homme ou de s'approprier des valeurs féminines sans passer pour des «moumounes». La génération de mes parents a commencé à se libérer de ces carcans. Aujourd'hui, tout est possible!

 

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